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close this bookScience and Technology in the Transformation of the World (UNU, 1982, 496 p.)
close this folderLe nécessaire et le possible dans la formation du mondial (Keynote Address)
close this folderHenri Lefebvre
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View the documentPremière Partie: Le Mondial, Esquisse d'une Analyse
View the documentDeuxième Partie: L'Informationnel et sa Problématique a l'Echelle Mondiale
View the documentConclusion

Première Partie: Le Mondial, Esquisse d'une Analyse

1. Que Disent les Philosophes?

C'est ravers la philosophie que le "monde" apparacomme reprntation et comme concept. L'histoire du manden Occident serait longue. Bien que des fragments en aient paru par-ci par-lelle n'est pas encore blie complment. Il suffit ici de rappeler l'origine italiote de la reprntation. Le terme "mundus" s'opposant de fa longtemps impensau "cosmos" grec dgne un ab, un couloir tbreux cheminant souterrainement vers une issue; c'est un trou par lequel les s entrent et sortent, les profondeurs de la Terre-M, communiquant ainsi avec la soci organisa surface. On jette dans ce trou sacres condamnort, les nouveaux ndont on se drrasse. La terrible parole augustinienne, Mandest immundus, doie l'image du couloir tbreux, parcours de vie et de mort, et fonde le christianisme le plus rigoureux. Je puis montrer comment la philosophie occidentale confronte - tantes srant, tantes rejoignant - ces deux grandes reprntations; le cosmos lumineux, le monde tbreux. (Sans oublier la poe: entre autres Dante et la Divins Commedia.)

2. Hegel

Il arrache le concept 'obscurites mphores en exposant le monde comme produit de l'histoire, le sombre parcours approchant de sa fin sublime. Pour lui le Welt-Geschichtlich fait rger la triade airante: savoir - droit - Etat; ce dernier incarnant l'idtermine l'histoire du monde; il en fait surgir le sens et la raison: la finalitLa "Phenomenologie" dit le douloureux cheminement de la conscience, son enfantement dans les tbres du monde. L'histoire (celle de la connaissance, du droit, des institutions politiques) montre comment s'fie cette construction, selon Hegel radieuse, a fois cosmique et humaine et divine: l'Etat.

Si l'on nd jusqu'otre que la perspective hlienne, il faut assigner comme sens et fin du processus historique la constitution d'un Etat mondial. Le monde moderne a-t-il pris cette orientation? Non. Seconde remarque, lia premi. Chez Hegel, le temps historique joue le rprimordial; il engendre ce qui nade lui dans une rationalitui rend intelligible la production et le produit. Or le monde moderne se dnit par un espace, l'espace planire, ainsi que par les modalitd'occupation et de domination de cet espace. Ce qui modifie la conception du temps historique et gtique, en obligeant econsidr les rapports du temps avec l'espace.

Il faut donc pour comprendre le monde actuel remettre en question la perspective hlienne, encore que Hegel ait eu l'immense mte de montrer l'importance croissante de l'at et de l'tique dans tous les domaines du savoir et de la pratique.

3. Marx

Pour lui, la philosophie classique en se risant par l'action rlutionnaire devient monde; elle le dnit donc artir de ses concepts fondamentaux: victoire de la connaissance sur les tbres de l'ignorance, risation du bonheur et de la libert

Inversement, le monde en se transformant devient philosophique. C'est donc artir de la philosophie qu'il faut penser le mondial.

Contre Hegel, Marx pense que l'histoire ne s'ach pas avec l'at, car le devenir emporte tout ce qu'il produit; l'Etat disparaa apravoir dri, en raison de ses contradictions, il laissera place es formes d'organisation plus hautes: moins brutalement oppressives, plus sociales et plus civilis. En attendant cette pode, le mondial prend la forme du marchondial, dont Marx commence et n'ach pas la thie bien qu'il se la fixe comme objectif, en m temps que les thies (elles aussi inachev dans son œuvre) de l'at, de la pensdialectique, etc...

D'aprMarx, indication trimportante, il y a deux moments ou deux phases du marchondial: L'une prpitaliste, plus exactement contemporaine de l'expansion du capitalisme commercial et anteure au capitalisme industriel (le vrai capitalisme) - l'autre posteure 'installation du capitalisme industriel et a prminance de la bourgeoisie. Le capitalisme selon Marx se dloppe, se transforme, s nd. La premi phase du marchondial est didans une grand partie du Capital alors que manque l'de de la seconde phase, seulement indiqu Le capitalisme tend donc avec les conqus techniques et l'accroissement des forces productives ien l'ouvrage colossal de la marchandise, qui a sa logique et son language, qui produit en m temps que d'innombrables choses une mondialitonsolidet gralispar la poursuite du profit (plus-value). Cependant les contradictions de la production marchande et industrielle paralysent la formation de la mondialitOn peut dire que, selon Marx, la bourgeoisie a pour mission historique d'entrevoir ou plut'entrouvrir la mondialit alors que le socialisme a pour mission de l'accomplir. Cependant, Marx ne sort pas complment de l'europentrisme et ne cont le mondial que d'une fa limit comme extension du Logos europ.

4. Nietzsche

Je me contente d'une citation.

"Dieu est une conjecture. Je veux que votre conjecture ne dsse pas votre volontrrice... Ce que vous avez appelonde, il faut que vous commenciez par le cr. Votre raison, votre imagination, votre volontvotre amour, doivent devenir ce monde..." (Zarathoustra II, ''Sur les Iles bienheureuses'').

5. Teilbard de Chardin

Il dit le processus d'hominisation. Pour lui, la noosph enveloppe 'echelle planire la nature (la biosph). La noosph, savoir et communication, semble s'identifier pour lui au mondial. Teilhard attribue une grande importance au rapport conflictuel entre l'entropie et la nentropie. Seul, avec MacLuhan, il tente d'interprr spfiquement les techniques de communication. Cette interprtion optimiste est plus descriptive qu'analytique et critique; est-elle encore acceptable? C'est une question.

6. Heidegger

Formules obscures et profondes. Dans sa premi œuvre, Sein und Seit, il cont en termes anthropologiques le monde; il explicite le "in-der-Welt-Sein" de l'homme, c'est-ire son e en proie au monde. Plus tard, franchissant les limites de cette anthropologie confondue avec une ontologie, Heidegger cherche oncevoir le monde en lui-m. Il dare: "Le monde se modifie." "Die Welt Bellet"... Ce qui pourrait se prendre pour une tautologie mais veut dire que la dispersion cesse des lieux sr que ces lieux se rassemblent, ce qui tend onstituer un (le) monde, unitt totalitCette totaliterait l'issue du cheminement dans les tbres, dans le souci et l'angoisse, dans la banalitt l'inauthentique dont seule nous sort la hantise de la mort. Mais il faut cr cette totalitondiale. Qu'est-ce que penser? La connaissance mte et poursuit cette crion pleine de risques. L'unitssaire ne suffit pas nir le mondial; elle est discerndu mondain (intra-mondain), de la dliction, de la banalituotidienne. Comme Marx, mais autrement, Heidegger mte sur la technique. Elle ravage la nature en la dominant; son importance moderne fait partie de l'histoire de l'Etre; en elle et par elle l'Etre se manifeste mais s'occulte. Le ravage par la technique terminl'Etre apparaa dans le monde ainsi bli au-dele l'errance et de la demeure, du discours et de l'angoisse. Le possible suit le nssaire, mais il n'a pas sa raison d'e dans la nssitL'Etre et son histoire, qui aboutit au mondial, est sans pourquoi. Comme la rose dans le po d'Angs Silus, rappelar Heidegger dans Le principe de Raison. La rose est sans pourquoi. Ainsi la Rose du monde!...

7. Kostes Axalos

Il se veut et se dit expressnt philosophe du monde. Pour Axelos, le jeu est beaucoup pus qu'une activitarmi les autres, plus qu'un symbole du monde (cf. Fink). Il le rle. Axelos dloppe comme Heidegger mais en allant plus loin le cbre aphorisme d'Hclite sur le dieu-enfant qui joue aux davec et dans le monde. Le jeu, c'est-ire le risque (de perdre, de gagner), est l'essence m du monde. Tout est jeu dans le monde, sans que l'homme qui est le joueur connaisse ou puisse fixer res et enjeux. L'homme qui joue est aussi le jouet et son jeu perpellement duMais c'est en lui et par lui que le jeu se reconnacomme acca totalitt que le jeu de monde se reconnacomme totalitLe monde selon Axelos? Une totalitn devenir, fragmentaire et dispers multidimensionnelle et ouverte, en qui s'ttent et dttent les puissances qui relient l'homme e monde - mythes et religions, poe et art, politique et philosophie, sciences et techniques - puissances elles-ms anim par des forces mentaires: langage, pens travail, lutte, amour, et mort. Tout ceci fondamentalement probltique c'est-ire rendant probltique tout projet mais en exigeant toujours un projet.

Sans fin, ni but ni terme. Sans autre sens que le jeu toujours duui fait de chaque joueur son jouet.

Autrement dit en exprimant aussi clairement que possible une penscommune eidegger, ink, xelos dans la lignhclitne: pour qu'il y ait des possibles il y a une condition primordiale; il faut une action, un projet ou des projets, donc des risques encourus et assum des obstacles et des dangers; en deux mots un devenir et une aventure. Il faut qu'il y ait jeu. Dans toutes les conjonctures, tous les possibles rgent; toutes les strates, toutes les formes d'action sont essay. Toutes ouent tu tard, du par un jeu plus puissant, le jeu cachu monde. Toutes ouent plus ou moins, drd plus ou moins, les enjeux changeant laissant gain ou perte. Chaque fois, quelque chose se dile. Trop tard. Nssaire, le jeu ouvre le possible.

8. MacLuhan

Doit-on le considr comme un philosophe ou comme un savant? J'opte pour la philosophie, impliquant chez cet auteur des hypoths aventureuses, en apparence scientifiques, en vtocio-mphysiques. Sa philosophie des media ne tient compte que de la tvision. L'informatique et la tmatique bouleversent les anticipations un peu lres qui l'ont rendu cbre. Rien de moins certain que la nouvelle tribalitAvec les nouvelles techniques de communication, l'atomisation et la totalisation du social sont lement possibles. On a fait remarquer lusieurs reprises que dans les pays industriels avancflit d l'importance de la tvision.

9. La Philosophie et/es Philosophes

Ils ont stimula rexion et la mtation lis ont que monde et le mondial en montrant la complexite sa formation. De la lecture des philosophes il rlte que le mondial n'est plus l'informe, l'horizon inaccessible des horizons, l'indescriptible. Les philosophes l'ont senti mais ils ont aussi suscites fantasmes, des symbolisme tantihilistes tantptimistes. Pour rendre plus concret le concept du mondial ne faut-il pas avoir recours aux diverses sciences dites sciences de l'homme en intant dans une thie globale les rltats partiels?

Mais il n'est pas question ici de tenter la thisation compl du mondial. Par exemple, je laisserai dbment de ccertains aspects importants de la question, entre autres la division du travail 'elle mondiale, les changements dans les forces productives et dans leur rrtition a surface du globe. Cet aspect nomique exige une de particuli. Je m'attacherai 'autres aspects du probl.

10 Critique de l'Europentrisme

Ce vice de mode et de pensn'a pas disparu. Que de gens ne convent le mondial que comme une extension du Logos europ, du mode de production et du mode de consommation nen Europe. Le concept de diffnce reste mal assimilt le pluralisme se rit pour beaucoup a pluralites partis politiques. Or el faut admettre aussi la diversites cultures (mot bien vague) et celle des concepts et catries voire de leur mode d'emploi dans le discours. Aujourd'hui on doit reconnae que Marx lui-m n'a pas app l'europentrisme.

La saisie du mondial comme processus historique si l'on veut - mais sortant de l'historicitlassique dnie par la seule mire - exige que l'on dsse dbment l'europentrisme. Il ne faut pas s'attacher e que les aspects homogs du mondial prminent sur les diffnces. Il ne faut pas s'attendre ne simple extension quantitative du Logos europ mais es transformations qualitatives au cours d'un long et profond mouvement.

11. La Mondialisation de l'at

Au lieu d'un unique Etat mondial l'histoire moderne a donnne multiplicit'Etat-nations et d'Etats plurinationaux (frations et confrations). La rationalitolitique selon Hegel n'a cependant pas disparu de la sc; ces Etats forment un syst et des traits analogues sinon homogs se reconnaissent en chaque Etat particulier. Le syst mondial des Etats n'empe pas la fragmentation extr de la totalitlanire; il n'empe pas davantage la stricte hirchie allant du plus petit et du plus humble Etat aux super-puissances. Je propose que l'on retienne ce concept de la totalithomogit fragmentation - hirchie. Il dent une certaine gralitil s'applique 'autres domaines que le politique.

Pas plus que la fragmentation et la hichie, le syst mondial des Etats n'exclut les contradictions. Conflits et affrontements, tantacifiques tanton, font leur chemin ravers le syst tique. Pour le thicien du mondial la mondialisation prend une double forme, grosse de difficult d'une part la mondialisation de l'at, d'autre part les firmes mondiales (prototype: IBM).

D'o proposition que je pourrais ncer comme un th: le mondial se forme ravers ce qui l'arr, ce qui le fixe, ce qui le dgr (obstacles, conflits, et contradictions multiples).

12. Le Marchondial

Il existe. Il dent une unituisque les pays "socialistes" n'ont pas rsi onstituer un second marchival du premier. Le marchondial n'est pas pour autant le mondial; il ne dnit pas l'homme planire. Il n'en est que le support. Il manque une thie du marchondial. Les spalistes n'en connaissent qu'une composante par exemple le syst monire. Le marchondial s'analyse en terme de flux, de courants, de raux - mais aussi de systs, de p, de points forts et fixes.

Une particularitend difficile l'analyse de cette ritouvante et hyper-complexe: le possible, pr, joue le rd'une cause ou raison. Tel secteur du march'explore, s'occupe selon des procres appropri; les virtualitse prennent en compte et la prsion devient optionnelle, non sans risque.

En tant que tel le marchondial s'analyse en flux divers qui se superposent et s'articulent ou divergent dans l'espace: flux de produits finis, flux de capitaux, flux de main-d'œuvre, flux de techniques, flux de connaissances, voire de symboles et signes, flux d'informations, flux d'œuvres dites culturelles, etc... D'o proposition: le nssaire c'est-ire l'extension mondiale de la marchandise, de la valeur d'ange (de leur langage, de leur logique) laisse place 'exploration du possible et m l'exige.

Sur le marchondial l'nomique et le politique se rejoignent ou s'affrontent: "paradoxalement le succd'lBM et le champ de son nouveau dloppement donnent aux Etats l'occasion de s'affirmer comme interlocuteurs de la compagnie sur un terrain o sont s'ils le veulent moins drm.. Maesse de raux la compagnie prendrait une dimension qui exc la sph proprement industrielle: elle participerait qu'elle le veuille ou non 'empire de la plan... La carence des Etats crait un vide, rapidement comblar le dynamisme spontane la compagnie IBM..." (Rapport Nora-Minc, pp. 65 - 66).

13. L'Espace Mondial et le Temps

Dans la conception habituelle de l'historicitle temps joue un rdrminant. Or un changement quantitatif et qualitatif a lieu: de plus en plus c'est l'espace qui joue le rprimordial. A lui peut maintenant s'attribuer une importance qui reste gmatique si l'on ne tient compte que de la temporalitcausalitu futur, influence de l'absence. Les espaces vacants disponibles pour telle ou telle activitcommerciale, industrielle, financi, voire culturelle ou militaire) entrent dans les suppurations et les strates. Le sous-sol, le sol, le sur-sol, et l'espace aen ne se srent pas. L'espace mondial c'est-ire planire et m sidl rit le nssaire et le possible sans pour autant drminer quel possible se risera. D'o conception de la causalitt de la finalitui modifie et supplante les anciennes catries philosophiques sans pour autant les annuler. Il en va pour le nssaire le possible comme pour le sujet et l'objet.

Il en rlte que le temps doit aujourd'hui se penser autrement que selon des modalittraditionnelles. L'espace-temps de la mondialitequiert des approches et des atteintes intes. Le temps se localise et chaque lieu comprend un temps; mais il n'en existe pas moins un temps mondial. La temporalite peut plus se concevoir selon le cycle des naissances et des dins (Hegel-Marx-Nietzsche) mais selon la relation conflictuelle des strates mondiales. D'oproposition: c'est un espace-temps de catastrophes, au sens de Renhom.