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close this bookScience and Technology in the Transformation of the World (UNU, 1982, 496 p.)
close this folderSession III: Biology, medicine, and the future of mankind
close this folderLa maîtrise de la vie: Pour quoi faire?
close this folderBruno Ribes
View the documentIntroduction
View the documentI. Necessite et enjeux
View the documentII. La 'logique' du vivant
View the documentIII. Quoi faire?

I. Necessite et enjeux

Certes, l'humanit toujours cherch percer le myst de la vie, 'organiser, voire a maiser. Mais, de nos jours, la nssite parvenir ne compl maise de la vie se fait sentir impeusement. En effet, d'une part, nous avons aire face es contraintes de plus en plus rigoureuses; d'autre part, les progrms de nos recherches et de nos duvertes, les nouveaux pouvoirs que nous avons acquis, nous obligent pprofondir cette maise, faute de quoi nous risquerions de provoquer des perturbations de grande ampleur.

Je ne m'ndrai gu sur les contraintes qui nous pressent de rechercher une plus profonde maise de la vie. Elles s'imposent ous par suite de l'accroissement considble des besoins de l'humanitu fait de l'explosion dgraphique et des exigences du dloppement. Ainsi devons-nous lutter contre les dangers qu'engendrent les pollutions de toutes sortes et maintenir en ilibre les systs, voire la biosph; nous devons dlopper notre agriculture et notre aquaculture vtales et animales; dans cette perspective, il nous faut non seulement perfectionner nos modes de sction ou d'insnation artificielle, mais aussi les manipulations gtiques, y compris le "clonage", et sans doute demain serons-nous amentiliser tout l'arsenal des bactes recombinantes ou recombin pour amorer les esps, les adapter, pour rnr et fertiliser les sols. En m temps, nous avons arfaire nos techniques de stockage, de conservation des aliments et, d'une mani grale, lopper l'industrie agro-alimentaire.

Par le dessinent d les liens qui unissent la biologie 'industrie. Or, ces liens iront en s'intensifiant, particuliment dans trois domaines: non seulement il faudra surmonter les phms de nuisance et les probls de traitement ou d'mination des dets; non seulement nous aurons ccroe le potentiel de l'industrie biochimique, en particulier de l'industrie pharmaceutique; mais nous allons devoir entrer rlument dans les nouvelles perspectives ouvertes par l'utilisation des bactes recombinantes: on sait, en effet que ces nouvelles techniques offrent des possibilitconsidbles qui laissent espr une transformation de l'industrie pharmaceutique (fabrication on marche produits jusqu'ici tronux - notamment l'insuline ou de vaccins plus fiables) et de l'industrie chimique. D'ores et d on peut attendre de l'activitactenne qu'elle soit utilises fins aussi diverses que la dllution, le recyclage des eaux us, la fourniture de divers types de soie, la production de mane, etc. J'en passe et des meilleurs ou des pires, dans la mesure ormement fait aujourd'hui appel a biologie. Il est manifeste que la recherche biologique se voit stimules par de formidables intts, impatients d'obtenir des rltats permettant de rentabiliser les investissements consentis, intts qui inflissent la dtologie des savants et la finalite leurs recherches.

Encore n'ai-je pas ouvert le chapitre capital de la mcine. Et l'on sait combien, dans ce domaine, les progrsont rapides et cependant combien il nous reste aire tant au plan de la prntion qu'elui de la thpie. C'est toute l'existence humaine qui se trouve drmais prise dans une fantastique course au progr avant m la conception, alors que se multiplient les examens gtiques prptiaux et les possibilitde surmonter la stlitdans la conception m, gr 'insnation artificielle et es dv c = e le choix du sexe de l'enfant; durant la conception, puisque se multiplient les interventions chimiothpies, voire chirurgicales sur l'embryon ou le fœtus. Nul doute que, dans les dnnies enir, les pratiques orchogtiques se dloppent: espns que, dans le m temps, les responsables sauront se garder de la tentation de l'eugsme. Par-dela naissance, c'est toute l'existence humaine qui bficie aujourd'hui d'un arsenal de traitements de plus en plus audacieux, prpposant une connaissance sans cesse approfondie des rtions et rlations les plus secrs de l'organisme humain et l'utilisation de techniques ultrasophistiquees: lncore, les promesses sont fascinantes, mais la tentation ne fera que croe de plier l'homme a mcine et non plus la mcine 'homme. Et cette derni remarque est d'une importance particuli quand on sait les prograccomplis pour lutter contre la mort ou pour prolonger la vie, progrqui ne sont pas toujours exempts d'un acharnement thpeutique suspect.

En ritbon nombre des interventions qui viennent d'e qu sont rendues nssaires par la multiplication de maladies en rapide expansion, tels les cancers et les affections cardio-vasculaires, et qui tiennent d'une part 'accroissement la longtmais aussi aux conditions de vie abusives qui sont aujourd'hui les ns et qui perturbent plus ou moins profondnt notre organisme, risquant d'ailleurs de grever le patrimoine gtique des grations enir. Je ne parle pas seulement des nuisances, mais aussi des abus de nourriture, d'alcool, de tabac, et de l'abus dans la consommation des mcaments, dont on sait qu'il prcupe de plus en plus les biologistes et les mcins, en particulier les gticiens. Se pose et rd le trgrave probl de la conservation du patrimoine gtique de l'humanitdont on sait qu'il se dade rapidement.

Parlant d'abus ou de traumatismes, il faut bien quer lement la nssits sommes de compenser les troubles psychiques de toutes sortes et le "stress" subis par un nombre croissant d'individus, incapables de surmonter les tensions de tous ordres qui s'exercent au sein des mlopoles et les multiples conditionnements nerveusement ouvants qui leurs sont impos Ici se profile tout un autre secteur de l'activitco-biologique: celui de l'intervention sur le syst nerveux et des divers moyens de transformer le comportement humain. Dans ce domaine encore, le meilleur est spr et le pire raindre.

On le voit, c'est tout le destin de l'individu qui est aujourd'hui capable d'e modifiar les progrdes diverses sciences de la vie et, par-deles individus, le sort m des socis et de toute l'humanitSi puissants sont les moyens dont nous disposons que nous ne pouvons agir a lre. Les progrms que nous avons accomplis nous imposent de progresser encore davantage dans la maise de la vie: non seulement parce que, parvenus n certain stade de progr ni les individus ni les groupes sociaux ne tolraient un retour en arri, mais aussi parce que nous sommes drmais engages dans une escalade de l'artifice. Je me bornerai sur ce th lopper trois remarques.

La premi remarque tient e que nous intervenons sur les vivants, vtaux, animaux et humains, en dt d'ignorances fondamentales. Les incitations ou imptifs qui pnt aujourd'hui sur la biologie et la mcine donnent lieu es extrapolations multiples, d'ordre thique ou pratique, qui tendent rnter comme globales ou dnitives des duvertes partielles et prpitent la mise en application des possibilitoffertes. Or, ces extrapolations et cette utilisation sont poursuivies alors que nous restons sur beaucoup de points dans l'ignorance du retentissement erme de ce que nous entreprenons et effectuons. Ainsi, nous connaissons trmal les lois, les composantes et les capacitd'adaptation rles ou potentielles du vivant, consid selon sa structure interne et dans sa relation avec le milieu. Dlors de nombreuses pratiques de la biologie ou de la mcine ont eu ou peuvent avoir (car les effets se font sentir etardement) des rrcussions dommageables. C'est d l'dence en ce qui concerne les systs et la biosph. Mais les interventions que nous nous disposons aire, en particulier celles qui touchent a gtique, sont d'une portbien plus considble encore, notamment si se dloppe l'utilisation des virus comme vecteurs mutagques.

S'agissant de l'homme, ces inconnues se redoublent, car notre ignorance porte a fois sur la physiologie mime du cerveau (uoi servent exactement les lobes frontaux, dont le dloppement est cependant caractstique de l'e humain?), sur son activitsur sa dndance et sur son action par rapport au mbolisme de base, sur l'rgence de l'activitsychique et sur son rdans la rlation interne de l'ensemble de l'organisme. Au mieux nous percevons quelques effets, quelques fonctions. Mais, en ce domaine, la plupart des mnismes et des causes nous appent encore.

Il s'ensuit que nous sommes dans l'incapacitpour une large mesure, de prir ou de maiser les "retomb" physiologiques et psychologiques, individuelles et sociales, de certaines pratiques et cela, au moment m ous l'avons vu, la biologie doit faire face es incitations et des pouvoirs de plus en plus pressants, qui la projettent dans une escalade de l'artifice.

Or, dans cette escalade, et c'est ma deuxi remarque, nous avons affaire ne exigence bien plus essentielle: celle qui surgit de la dimension temporelle. En l't actuel de nos connaissances, nous sommes incapables de la maiser. D'une part, les pouvoirs scientifiques acquint une portconsidble dans l'isseur de la nature et la profondeur du temps. La nature, y compris la nature humaine (nous aurons revenir) subit des modifications somatiques et psychiques qui l'atteignent dans son "programme" m: non plus seulement dans l'immat, mais aussi bien dans le futur. Nagu les effets de nos interventions ient directement et immatement li'agent causal. L'homme pouvait en luer les consences et rer sa conduite conformnt on expence personnelle ou elle de ses confrs. Aujourd'hui, l'agent causal, notamment dlors que nous agissons sur le programme gtique, est srable et sres effets par une ou plusieurs grations de vivants. Et nos interventions prennent un caract irrrsible, puisque, en cas de dommages aucune rration n'est envisageable (et, envisag elle n'atteindrait pas les ms organismes), surtout s'il s'agit de la vie, et plus particuliment de la vie humaine.

D'autre part, la vie est affaire d'ilibre, d'homtase, d'organicistD'odanger des interventions ponctuelles. Les mcins le savent bien, qui sont souvent contraints de compenser tel traitement par un autre, s'engageant ainsi dans un processus d'acharnement thpeutique, ou qui, luttant contre la maladie, sont parfois dans l'impuissance d'en miner les selles. Il serait aise montrer que toutes les possibilitoffertes par la biologie contemporaine induisent des processus de compensation, le plus souvent imprsibles dans l't actuel de nos connaissances, qui ne peuvent aller qu'en s'accentuant. Mais aurons-nous toujours le temps de compenser? Il en va de m au niveau du cosmos ou de la soci. C'est ainsi que sans y prendre garde (pouvait-on le faire) nous avons perturbt polluaint syst, ou que certaines pratiques, peut-e tolbles, sinon recommandables, au niveau des individus, ont modifielle ou telle structure fondamentale de l'humanitTypique et rd est l'abaissement de la mortalitnotamment infantile: c'est demment l'une des principales causes de la fantastique ascension de la courbe dgraphique mondiale, laquelle a induit la nssite graliser la rlation des naissances, mais a aussi accre phm d'urbanisation qui, on tour, modifie profondnt le conditionnement psycho-somatique des individus, sans parler des structures sociales, nomiques, culturelles et politiques.

Bref, la nssit'accroe notre maise de la vie se fait sentir avec d'autant plus d'urgence que, bon gral grnos interventions, m ponctuelles ou partielles, hypothent notre devenir et retentissent sur des ensembles.

J'en arrive ainsi a troisi remarque. Cette escalade de l'artifice, il est illusoire de penser qu'elle puisse cesser un jour. Que nous le voulions ou non, nous sommes engages dans un processus irrrsible tel que l'ensemble des rapports entre l'e humain et le biologique s'en trouve substantiellement modifiAlors que, nagu, nous nous bornions aisser e, parant tant bien que mal 'accidentel, nous sommes entraujourd'hui dans une civilisation du faire-vivre qui, de plus en plus, vise tteindre les caracts essentiels de la vie. Pareille transformation serait pleinement exaltante n'it la prpitation avec laquelle nous sommes contraints de passer du savoir au faire, en dt de nos ignorances; n'it aussi la propension de plus en plus grale e fier exclusivement aux prouesses et promesses scientifiques et techniques, comme si elles ient en mesure d'obvier outes les erreurs ou imprudences et de renverser l'irrrsible.

Culturellement tout au moins, les probls relatifs a santendent e poser en termes de "pouvoir", plus encore qu'en termes de "faire", dans une sorte de dialectique du possible et de l'impossible. Le possible devient ainsi le crit fondamental de l'action et de la pratique. Mais alors se pose la question cruciale qui est tout ensemble d'ordre scientifique, socio-politique et ique: peut-on tout faire, sous prxte que cela devient possible? Quels crits, quelle finalitonner os interventions. Intensifier nos recherches pour parvenir a maise de la vie: pareil objectif fait l'unanimitMais la maise de la vie pour quoi faire? Telle est la question...