![]() | Surveillance Épidémiologique après un Désastre Naturel (PAHO) |
![]() | ![]() | Première partie: Surveillance épidémiologique et lutte contre les maladies après un désastre naturel |
![]() | ![]() | Chapitre 2: Risques de déclenchement d'épidémies après un désastre |
L'existence d'une maladie dans une communauté est l'un des six facteurs qui doivent être pris en considération pour juger du danger d'épidémie après un désastre. En théorie, lorsqu'une maladie n'existe pas dans une communauté, le danger n'existe pas. Le problème, cependant, n'est pas aussi simple. Parfois, des rumeurs ou autres informations officieuses font état de cas de choléra, de peste ou de maladies exotiques dans des régions où ces maladies sont censées ne pas exister.
Les épidémiologistes ne peuvent inconsidérément écarter ces informations. Certaines maladies peuvent persister dans des régions reculées, non desservies par les laboratoires de santé publique, même si les services officiels n'en sont pas avertis et si les statistiques n'en font pas état. La découverte d'un foyer endémique de choléra aux États-Unis en fournit une illustration flagrante (15). Si ce foyer avait été découvert après un ouragan ou des inondations, l'opinion en aurait sans doute attribué la cause au désastre.
Deuxièmement, on ne peut exclure l'introduction d'une maladie transmissible dans une région sinistrée par les équipes de secours, par les véhicules de transport, ou par les approvisionnements de secours. Ceci peut se produire à l'intérieur d'un pays ou, de manière plus dramatique, à partir d'un autre pays. Le tremblement de terre de 1976 au Guatémala est survenu pendant la période hivernale de grippe en Amérique du Nord. Des vecteurs ou des agents responsables de maladies transmissibles peuvent également être introduits par des moyens de transport (les avions) ou par le biais des approvisionnements de secours. En Amérique latine et dans les Caraïbes, l'Aedes aegypti peut facilement être réintroduit dans une zone, jusqu'alors indemne d'infestation, par avion ou par d'autres moyens de transport lorsque ces moyens ont été utilisés pour traverser une région infestée ou proviennent d'une région infestée. Lorsqu'une épidémie se déclare d'une manière explosive, touchant en même temps un grand nombre de personnes, cela suggère une source commune d'infection. Les épidémiologistes doivent alors toujours envisager l'hypothèse d'une contamination des aliments en boîtes ou préparés. La fièvre aphteuse constitue un excellent exemple dans le domaine vétérinaire; elle peut être introduite par de la viande infectée, par des approvisionnements de secours contaminés, et par les souliers des secouristes. Un désastre naturel ne peut justifier l'abandon des mesures de santé publique préventives, telles les mesures de quarantaine, la désinfestation des avions et l'inspection sanitaire dans les ports d'entrée.
Après un désastre, des sujets vulnérables peuvent brusquement être exposés à des maladies endémiques. Celles-ci prennent alors des proportions épidémiques. On observe, dans l'immédiat, une incidence supérieure à la normale. On peut distinguer trois mécanismes: la migration des populations rurales vers des zones surpeuplées, la migration de populations urbaines vers les zones rurales, l'immigration de sujets réceptifs dans des zones sinistrées. Pour mettre en oeuvre les mesures préventives adéquates, il faut d'abord connaître l'épidémiologie des maladies endémiques dans les pays concernés.
Migration des populations rurales vers des zones surpeuplées
À l'époque médiévale, les classes privilégiées essayaient d'échapper aux épidémies en fuyant les villes pestilentielles. Aujourd'hui, en cas de sécheresse, de troubles civils ou autres désastres, les populations se rassemblent en un lieu où elles espèrent être nourries, se trouver en sécurité, et recevoir des soins médicaux. Généralement, la vulnérabilité des réfugiés aux maladies transmissibles, et spécialement à celles transmises par l'air (aérosols) ou par contact direct, est d'autant plus grande qu'ils viennent de :zones de faible densité de population ou à peuplement clairsemé. Dans ces régions, la couverture vaccinale contre les maladies de l'enfance est généralement insuffisante. Lorsque des habitants des hauts-plateaux migrent vers des camps ou des centres d'hébergement situés à plus basses altitudes, ils risquent des maladies transmises par des vecteurs, inexistantes sur les hauts-plateaux.
Migration de populations urbaines vers des zones rurales
Plus rarement, à la suite de troubles civils, de tremblements de terre ou d'ouragans, les populations urbaines fuient les villes et se réfugient dans des zones rurales. Elles peuvent alors être exposées aux maladies transmises par des vecteurs, le paludisme en particulier. La destruction de Managua, lors du tremblement de terre de 1972, en est un exemple (16). La gravité du paludisme à P. falciparum résistant à la chloroquine parmi les réfugiés cambodgiens constitue un autre exemple d'acquisition de maladies transmissibles à la suite de migrations des villes vers les campagnes. Les réfugiés, d'abord expulsés des centres d'hébergement vers des zones rurales, où le paludisme était rare, ont ensuite gagné la frontière thaïlandaise en traversant des zones holoendémiques (17).
Immigration de sujets vulnérables dans les zones sinistrées
Le secouriste, souvent mal informé et mal équipé, envoyé dans une région sinistrée dans le cadre de l'aide internationale est le prototype du sujet vulnérable et il risque de contracter des maladies qui n'existent pas dans son pays d'origine. Ce fut le cas lors de la guerre civile au Nigéria. L'efficacité de certaines équipes médicales étrangères a été compromise. Plusieurs cas de paludisme, y compris des cas de paludisme cérébral et un décès, sont survenus à cause d'une totale méconnaissance du risque et des moyens de l'éviter. Un groupe, opérant au Biafra, a négligé la prophylaxie par les gammaglobulines; avant même sa mise à pied d'oeuvre, les membres de l'équipe ont fait une hépatite infectieuse et ont été mis hors circuit (18).
Depuis longtemps, les organisations de secours sont conscientes de ce risque. Il leur est cependant difficile de convaincre de la gravité du problème des secouristes souvent incrédules et inexpérimentés. Des groupes de volontaires sont généralement constitués dans divers pays à la suite d'un désastre particulièrement important. La formation préalable qui leur est donnée dans leur pays d'origine est orientée en fonction des caractéristiques de la région sinistrée. Les responsables médicaux des organisations dont dépendent ces groupes auraient avantage à prendre avis auprès des organisations spécialisées ou à consulter les manuels rédigés à l'intention des personnes qui se rendent dans les pays tropicaux.
On peut s'attendre à une augmentation du nombre de cas déclarés de maladies pendant les opérations de secours, dans les populations où ces maladies sont fréquentes. Cette augmentation est peut-être artificielle. La mise en place de services de santé, après un désastre, dans des régions où ils n'existaient pas, entraîne la déclaration de cas qui seraient restés inconnus et augmente inévitablement l'incidence apparente de la maladie. Même dans les régions où les services de santé fonctionnent, la déclaration de routine est le plus souvent fort incomplète et l'incidence réelle sous-estimée. Après un désastre, le nombre de déclarations augmente parce que le nombre d'unités responsables de ces déclarations augmente. Le nombre de déclarations peut augmenter aussi si, suite au désastre, il y a eu des mouvements de population dans la région. Autre possibilité: connaissant mal la pathologie locale, les médecins risquent, sur la base de syndromes cliniques qu'ils ont rarement observés, de rendre des diagnostics étiologiques qui ne sont pas confirmés par les laboratoires.
Lors d'une épidémie - définie comme un nombre inhabituel de cas d'une maladie transmissible - il est extrêmement important de déterminer si l'augmentation de la maladie est réelle ou artificielle. Si ce n'est pour les centres d'hébergement pour réfugiés, la population n'est pas dénombrée, c'est-à-dire que le calcul des taux (nombre de cas par rapport à la population soumise au risque) s'avère impossible. Il peut alors être nécessaire d'effectuer une enquête rapide, afin d'obtenir une estimation de la fréquence de la maladie dans la population générale. On peut aussi se baser sur les indications fournies par les registres de dispensaires ou les dossiers cliniques, pour évaluer grossièrement la fréquence de la maladie avant le désastre. Cependant, même en procédant ainsi, il peut être difficile de déterminer si l'augmentation de l'incidence requiert des mesures immédiates de contrôle ou la mobilisation de ressources médicales supplémentaires.
Tant jadis qu'aujourd'hui, on a pu observer que le risque de contamination est maximal dans les centres d'hébergement surpeuplés et que le risque d'épidémie augmente avec le temps. Le danger ne dépend pas du type de désastre, naturel ou dû à l'homme, qui a mené à l'établissement de ces centres (21). Le médecin responsable de la prévention doit donc, dans la mesure du possible, renvoyer les victimes chez elles. Quand cela n'est pas possible, il vaut mieux disperser les victimes, les loger chez des parents ou dans des villages voisins, plutôt que de les parquer dans des centres d'hébergement. Toutefois, le responsable des secours estime souvent que la situation sera mieux contrôlée, les secours plus efficaces, si les victimes sont rassemblées. Lorsque la création de centres d'hébergement de longue durée est inévitable, le risque de maladies transmissibles peut être réduit en contrôlant minutieusement les conditions d'hygiène. Les mesures à prendre sont décrites en détail par Assar (22); elles sont résumées dans l'Annexe 4. Les autorités civiles estiment souvent qu'il est malaisé d'instaurer et de maintenir une discipline stricte de type militaire. Elle est cependant nécessaire, mais si les centres hébergent des réfugiés ou des individus factieux, ceux-ci risquent à la longue de se rebeller.
Même dans les pays en voie de développement les plus pauvres, les épidémies graves consécutives aux désastres naturels sont rares, lorsque les victimes ne sont pas parquées dans des camps d'hébergement (21). Il y a eu des exceptions: la leptospirose au Brésil après des inondations (23), l'augmentation de l'incidence de la fièvre typhoïde à la suite d'ouragans à Maurice (24), et des cas d'empoisonnement alimentaire en Dominique et en République dominicaine (25). On peut craindre que les conséquences du désastre sur la situation sanitaire et sur l'économie du pays favorisent à long terme l'éclosion d'épidémies. Un exemple en est la résurgence du paludisme et l'échec subséquent de son éradication en Haïti (26).
La treizième édition (1981) du manuel de l'Association américaine de santé publique "Control of Communicable Diseases in Man", (27) traduit l'opinion unanime des spécialistes des maladies transmissibles et de l'Organisation panaméricaine de la santé - Organisation mondiale de la santé, sur les risques de maladies transmissibles après un désastre. Cette information est présentée sous une forme simplifiée au Tableau 2. Pour plus de détails concernant chaque maladie, le lecteur pourra consulter la treizième édition du manuel ou un ouvrage de médecine tropicale (28).
Tableau 2. Risque d'épidémie de maladies transmissibles après un désastre en Amérique Latine et dans les Caraïbes.
Maladie |
Facteurs de risque |
Zone géographique à risque | ||
Amibiase |
contamination des eaux ou des aliments |
? |
cosmopolite | |
Varicelle |
promiscuité |
3 + |
mondiale (infection pratiquement universelle) | |
Choléra |
contamination des eaux ou des aliments promiscuité dans des
mauvaises conditions d'hygiène |
1+ |
néant | |
Diarrhées non spécifiques |
contamination des eaux ou des aliments; promiscuité |
4 + |
universelle | |
Diphtérie |
promiscuité de sujets réceptifs |
2 + |
universelle | |
Ebola/Marburg |
Contact direct avec des sécrétions, du sang, des organes, ou du
sperme; transmission éventuelle par vecteur ou par les aérosols |
? |
Zimbabwe, Kenya, Soudan, Zaïre | |
Intoxication Alimentaire | ||||
- Staphylocoques |
alimentation en commun et réfrigération insuffisante mauvaises
conditions de cuisson |
4 + |
universelle | |
- Bacillus cereus |
alimentation en commun et réfrigération insuffisante; mauvaises
conditions de cuisson |
3 + |
universelle | |
Gastroentérites | ||||
- Gastroentérite épidémique virale |
contamination des eaux ou des aliments; promiscuité |
? |
universelle | |
- Rotavirus gastroentérite |
contamination des eaux ou des aliments; promiscuité |
? |
universelle | |
Fièvres hémorragiques de l'Argentine et de la Bolivie |
contamination alimentaire |
? |
Argentine, Bolivie | |
Hépatites à Virus | ||||
- Hépatite virale A |
contamination des eaux ou des aliments; installations sanitaires
inadéquates |
4 + |
universelle | |
- Hépatite virale B |
procédés de stérilisation incorrects |
4 + |
universelle | |
- Hépatite virale non-A, non-B |
? |
? |
universelle | |
Grippe |
promiscuité |
4 + |
universelle (pandémies, épidémies, recrudescences locales
sporadiques) | |
Lèpre |
suspension de la détection et du traitement |
? |
endémique | |
Leptospirose |
contamination des eaux ou des aliments inondations de zones à
nappes phréatiques peu profondes |
? |
monde entier | |
Paludisme |
eaux stagnantes propices à la reproduction des
moustiques |
? |
Amérique du Sud tropicale, Panama, Haïti | |
Rougeole |
introduction de la rougeole dans des populations réceptives et
isolées |
? |
universelle | |
Méningite à méningocoques |
promiscuité |
? |
endémique | |
Pédiculose |
promiscuité; vêtements mal entretenus |
? |
endémique; mondiale | |
Peste |
promiscuité; lutte insuffisante contre les rongeurs, mauvaises
conditions d'hygiène |
? |
endémique dans certaines zones d'Amérique du Nord et du
Sud | |
Poliomyélite |
promiscuité; groupes non-immuns, aliments contaminés; évacuation
inadéquate des eaux usées |
? |
mondiale | |
Rage |
chiens vagabonds |
2 + |
mondiale | |
Fièvre récurrente |
promiscuité; malnutrition; manque d'hygiène
personnelle |
2 + |
endémique | |
Salmonelloses |
promiscuité; contamination alimentaire lors d'alimentation en
commun, manque d'hygiène |
3 + |
mondiale | |
Gale |
promiscuité |
2 + |
endémique | |
Shigelloses |
promiscuité; malnutrition; manque d'hygiène |
4 + |
endémique | |
Maladies à streptocoques causées par groupe A (streptoc.
beta-hémolytique) |
contamination alimentaire |
2 + |
commun en zones tempérées et subtropicales | |
Tétanos |
inondations, ouragans, tremblements de terre |
3 + |
mondiale | |
Tuberculose |
promiscuité |
1 + |
mondiale | |
Fièvre typhoïde |
interruption du contrôle de l'eau et des aliments |
2+ |
mondiale | |
Typhus |
manque d'hygiène; promiscuité |
2 + |
foyers endémiques | |
Fièvre jaune |
présence de moustiques infectés |
? |
enzootique en Amérique du Nord et du Sud et dans certaines parties
de l'Afrique | |
Coqueluche |
promiscuité |
2 + |
mondiale |
*? risque possible
1 + risque rare
2 + risque
occasionnel
3 + risque fréquent
4 + risque
généralisé